Le 8ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 5

"Paris-Brest" Tanguy Viel. Roman. Les Editions de Minuit, 2009

Dans le train qui le ramène vers Brest où il va passer dix jours en famille pour les fêtes de Noël, le narrateur, chargé d’une valise contenant un manuscrit, s’interroge sur les raisons qui l’ont poussées à accomplir ce retour aux sources. Est-ce le désir de renouer le contact avec sa famille ou l’envie de régler une fois pour toutes ses comptes avec ses parents, et en particulier avec sa mère ?

De ce jeune homme, on sait peu de choses si ce n’est que, quelques années auparavant, lorsque ses parents ont quitté précipitamment Brest pour s’installer dans le Languedoc-Roussillon, il a décidé, lui, de ne pas les suivre et d’occuper l’appartement situé juste au dessous de celui de sa grand-mère.

Pourquoi les aurait-il suivis ? Pourquoi en effet aurait-il du prendre sa part dans le scandale financier qui a atteint son père, président du Stade Brestois qui, suite à cette affaire, a préféré mettre entre lui et le monde footballistique finistérien une distance de plusieurs centaines de kilomètres afin d’éviter de croiser les regards et d’endurer les sarcasmes des passants ? Pourquoi aurait-il du suivre sa mère qui se glorifiait de fréquenter les notables de la ville jusqu’au moment où, le scandale ayant éclaté, les portes de la bonne société se sont fermées devant elle, la contraignant à émigrer vers le sud de la France et de tenir une boutique de souvenirs à Palavas-les-Flots ?

Le jeune homme a donc décidé de ne pas quitter Brest, n’ayant plus que pour seule famille sa grand-mère qui, remariée sur le tard avec un amiral en retraite a hérité, après la mort de celui-ci, d’une petite fortune qui n’est pas sans attirer la convoitise des parents du narrateur. Malheureusement pour ceux-ci, le scandale du Stade Brestois va les contraindre à s’exiler pour quelques années, contretemps qui va les empêcher de mettre la main sur la petite fortune acquise par la vieille dame.

A part sa grand-mère, le jeune homme n’aura pour unique fréquentation que celui que sa mère appelle avec dédain « le fils Kermeur », le fils de la femme de ménage de sa grand-mère, une sorte de mauvais génie, personnage aussi sympathique que déconcertant et qui va, un jour, lui exposer un curieux projet consistant à cambrioler sa propre grand-mère et à lui dérober une forte somme d’argent.

Suite à cette affaire, les parents du jeune homme, plus soucieux de préserver la fortune de la vieille dame que d’assurer sa sécurité, vont se décider à revenir dans le Finistère. Ces quelques années d’exil auront après tout effacé en partie le parfum de scandale attaché à la personne du père. Et puis, mettre la main sur l’argent de la grand-mère mérite bien que l’on essuie au détour d’une rue un regard hostile ou quelques paroles désobligeantes. Ils vont donc revenir et s’installer non loin de Brest, sur la côte, dans une grande maison où ils hébergeront, à l’étage, la vieille dame, bénéficiant ainsi des revenus de celle-ci pour vivre confortablement.

La famille sera-t-elle de nouveau réunie, comme si rien ne s’était passé ? Non, car le narrateur, au moment où ses parents décident de revenir, lui va s’installer à Paris où il va peaufiner quelques années durant un roman où il mettra en scène sa propre famille, en profitant pour régler ses comptes avec sa mère, intolérante, cupide et ambitieuse, et avec son père, indifférent à tout ce qui ne sert pas ses propres intérêts.

Il va pourtant accepter de revenir à Brest, pour fêter Noël en famille. Il n’y va pas de gaieté de cœur mais peut-être pour comparer ce que sont réellement ses parents avec la manière dont il les a décrits dans son manuscrit. Peut-être aussi pour constater leur médiocrité de petits-bourgeois, leur mentalité de parvenus et se convaincre ainsi que, n’ayant rien de commun avec eux, il est temps de trancher les liens qui le lient avec eux.

Ce bref séjour sera en tout cas le moment où les masques vont tomber et où l’on atteindra le paroxysme de cette histoire de famille. Ce retour à Brest, cette réunion de famille, on l’ attend tout au long de la lecture de ce roman et l’on en ressent la tension, tension qui monte crescendo jusqu’au dernier chapitre où tout se jouera dans la confrontation entre le narrateur et sa mère…

« Paris-Brest », qui évoquera pour beaucoup le nom d’un des plus célèbres fleurons de la pâtisserie française, n’est pas sans rapports avec le gâteau du même nom : délicieux et écoeurant.
Délicieux parce que l’auteur nous gratifie d’une étude de mœurs et de personnages qui, le style mis à part, méritent l’appellation de « Balzaciens » tant leurs actes et leurs penséess’apparentent à une moderne version de la Comédie Humaine.
Écoeurant parce que, comme pour Balzac, les personnages ici mis en scène font preuve, soit d’une naïveté sans bornes qui les pousse à devenir l’enjeu de la convoitise de leurs proches, comme le Père Goriot ou la grand-mère du narrateur, soit d’un arrivisme et d’une cupidité méprisables qui n’hésitent devant aucun obstacle, aucune bassesse, pour assouvir leurs besoins de posséder toujours plus au détriment de ceux précédemment cités.

En cela, Tanguy Viel, comme le fit Balzac en son temps, nous offre ici un tableau peu reluisant de la nature humaine avec cette tragi-comédie provinciale plus amère que douce qui plongera le lecteur dans l’univers d’une famille comme tant d’autres où la vénalité et le souci des apparences l’emporte sur les liens affectifs qui devraient souder leurs membres. Édifiant.




Commentaires

Joelle a dit…
C'est un livre qui a provoqué beaucoup de discussions à notre club lecture :) Mais je ne l'ai toujours pas lu car ma découverte de cet auteur via un autre titre ne m'avait pas trop enchantée !
From the avenue a dit…
je suis un inconditionnel de Tanguy Viel et particulièrement de ce roman là. Merci pour ton interprétation du titre qui est fort intéressant !
From the avenue a dit…
je suis un inconditionnel de Tanguy Viel et particulièrement de ce roman là. Merci pour ton interprétation du titre qui est fort intéressant !

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