"Deux frères"




"Les Thibault" Roger Martin du Gard. Roman. gallimard, 2003.


« Deux frères », c'est le titre auquel avait pensé Roger Martin du Gard pour nommer ce cycle romanesque en huit épisodes avant de l'intituler « Les Thibault ».
Cette vasque fresque, fruit de dix-sept ans d'écriture, qui nous mène des premières années du XXe siècle jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, a valu à son auteur d'obtenir le Prix Nobel de Littérature en 1937.

Le premier épisode de cette série : « Le cahier gris », nous introduit au sein de cette famille de la grande bourgeoisie parisienne, famille séverement régentée par le pater familias, Oscar Thibault qui, veuf, dirige seul et d'une main de fer sa maisonnée. Le vieil homme a fort à faire car le plus jeune de ses deux fils, Jacques, vient de fuguer en compagnie de son ami Daniel de Fontanin. La cause de cette fuite a été motivée par la découverte à l'école d'un cahier gris que s'échangeaient les deux élèves, cahier dans lequel s'étale une correspondance compromettante, faite d'échanges passionnés entre les deux jeunes garçons.
Oscar Thibault est dans tous ses états. Non seulement ces écrits témoignent d'une relation qui, plus qu'amicale, incitent à penser à une relation homosexuelle, mais de plus font état des liens qui unissent Jacques au fils des Fontanin, des protestants !
Car Monsieur Thibault est un homme d'un catholicisme zélé et rigoureux, intolérant envers ceux qui se sont écartés de la vraie foi. Comment éviter le scandale pour cet homme richissime qui préside à de nombreuses ligues de vertu et est le fondateur d'une institution destinée à redresser les jeunes délinquants ?
La fugue de Jacques et de Daniel trouvera son terme à Marseille et c'est accompagné de son grand-frère Antoine, que le puîné des Thibault réintégrera le foyer familial.
Mais devant sa révolte et son comportement emporté, Monsieur Thibault, bien qu'aimant profondément son fils, n'aura d'autre solution que de le faire intégrer la Fondation qu'il a créée à Crouy, fondation qui n'est en fait qu'un pénitencier pour jeunes garçons récalcitrants.

Jacques, sous la pression de son frère Antoine qui mettra toutes ses forces pour convaincre son père de le faire libérer, en ressortira au bout d'un an. Pour tous, il semblera assagi, résigné à devenir comme son frère le digne héritier des valeurs bourgeoises incarnées par son père. Mais sous le masque, Jacques reste un rebelle à l'ordre établi et ne veut pas devenir un notable comme son père et comme Antoine qui termine ses études de médecine. Jacques rêve de grands espaces, d'amour, de sentiments entiers, de liberté et de littérature. Pour son ami Daniel de Fontanin, il n'éprouve plus qu'un vague intérêt, portant plutôt son attention sur la jeune soeur de celui-ci : Jenny.
Mais ses sentiments amoureux semblant n'être pas partagés par la jeune fille, Jacques va de nouveau fuir. Quelques années ont passé et il n'est plus l'enfant qui avait fugué jusqu'à Marseille. Sa famille va perdre toute trace de lui. On le croira en Angleterre alors qu'il s'est bâti une nouvelle vie en Suisse où il s'essaie à l'écriture avant d'adhérer à l'Internationale Socialiste, engagement dans lequel il mettra toute son énergie.

C'est ainsi que le lecteur va suivre, au cours des années les destins entrecroisés des Thibault et des Fontanin, dans cette France du début du XXe siècle jusqu'à leur conclusion tragique lors de la première guerre mondiale.

Oeuvre magistrale, portée par un souffle épique, « Les Thibault » est une suite romanesque fascinante, peuplée de personnages en prise avec les tourments de l'existence, une saga familiale dont le point d'orgue et le pivot central est sans nul doute « La mort du père » récit de l' agonie d'Oscar Thibault, agonie qui s'étend sur près de 200 pages, récit d' une puissance évocatrice incomparable qui mériterait à lui seul des pages et des pages de commentaires.
Mais, à bien y réfléchir, c'est tout le cycle des « Thibault » qui nécessiterait une analyse et des commentaires infinis tant la matière y est riche, tant les caractères de tous les protagonistes – et ils sont nombreux – y sont finement ciselés, dotés d'une extraordinaire densité et d'une profondeur incommensurable. Où trouver une telle richesse,en effet, si ce n'est dans Proust ou dans Joyce ?
Il y a tant à dire sur cette oeuvre que je ne m'étendrai pas plus longtemps dans ce commentaire car je m'aperçois qu'il y a ici matière à écrire indéfiniment.
Je ne peux que vous conseiller, en guise de conclusion, de lire ou de relire « Les Thibault » et de vous laisser emporter, comme je l'ai été, dans ce grand fleuve littéraire.



"Le Dîner" Félix Vallotton (1865-1925)

Commentaires

Anonyme a dit…
J'ai lu toute cette série il y a très très longtemps et je n'en garde qu'un souvenir assez vague, pourtant je sais que ça m'avait enthousiasmée !!! Je suis contente de voir que ça n'a pas "vieilli" comme on dit ;-)
Anonyme a dit…
Moi itou! Lointain souvenir.Bon souvenir, mais a-t-on le temps de relire de nos jours, pressé qu'on est par tout ce qui est à lire, présent et avenir? Dommage de ne pas prendre le temps de revenir vers le passé...
marie
Anonyme a dit…
J'étais curieux de savoir si cette suite était toujours d'actualité et ton billet m'a définitivement convaincu de lire l'un de nos prix Nobel de littérature.
Anonyme a dit…
Je ne connais cet auteur que de nom et j'ai relevé recemment qu'il faisait partie des auteurs français à avoir obtenu le prix nobel de littérature. Cette fresque semble vraiment passionnante.
Philippe Brin a dit…
Pour en savoir plus sur les Thibault et Roger Martin du Gard d'une façon générale, je vous signale : http://rogermartindugard.blogspot.com/
Anonyme a dit…
J'en ai souvent entendu parler mais sans savoir exactement de quoi cela parlait (à chaque fois, les gens en avaient gardé des souvenirs assez vagues car ils l'avaient lu il y a longtemps!) ... enfin un compte-rendu qui me fait penser que cela pourrait m'intéresser :)
Anonyme a dit…
Pareil ! J'ai entendu le nom de l'auteur, sans savoir ce qui se cache derrière/ Tu en donnes une idée tout à fait intéressante.

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