Une mamm-gozh chez les Maoris


"Le voyage de Jabel" Angèle Jacq. Roman. Editions du Palémon & Coop Breizh, 2004.



Jabel n'a pas eu une vie facile. Née en Bretagne dans une famille pauvre, ses parents ont décidé que l'école serait pour ses frères. Alors Jabel n'a pas pu apprendre à lire et à écrire. Son enfance s'est passée à travailler dans les champs comme journalière pour les riches fermiers de la région. Quand ce n'étaient pas les travaux des champs, c'était de ses frères et sœurs dont elle devait s'occuper, sans compter les tâches ménagères : aller au lavoir, s'occuper des bêtes et du potager, faire la cuisine...
C'est pour cela que Jabel n'a jamais appris à parler le français. Elle en connaît bien quelques mots ou quelques phrases d'usage courant mais la langue bretonne est la seule qu'elle pratique.
Quand elle eût dix-sept ans on la maria avec Fañch, un homme de douze ans plus âgé qu'elle. Son mari, à part lui avoir donné un fils, se révélera toute sa vie un fainéant et un ivrogne invétéré.

Travaillant pour deux – Fañch étant plus souvent au café qu'au travail – Jabel a continué à louer ses bras aux agriculteurs pour assurer un minimum de revenus à son foyer.
Sa seule joie en cette vie, c'est Ifig, son fils, pour qui elle endure sans se plaindre cette existence morne et difficile.
Mais les années passent. Ifig grandit, passe son certificat d'études, apprend la mécanique et devient garagiste. L'enfant de Jabel est devenu un homme. Des hommes, justement, la France en a besoin ces années-là pour aller se battre de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie.
Ifig va devoir partir. Il ne sait pas encore qu'il passera trois ans dans les Aurès, loin de sa mère, et loin de sa promise, Alice.
Son expérience des combats va le traumatiser à vie et rares seront les nuits où il ne s'éveillera pas en criant, en proie à des cauchemars suscités par les scènes de violence auxquelles il a assisté.
Quand il reviendra au pays, il ne sera plus le même, d'autant plus qu'en son absence, Alice – lassée de l'attendre en vain et ne recevant plus de nouvelles de lui – a décidé de se marier avec un autre.
La mort dans l'âme, Ifig va tenter de reprendre une vie normale et se faire embaucher dans une usine d'abattage de volailles. Mais les cadences infernales et la bassesse des contremaîtres vont définitivement le dégoûter de cette vie.
Quand la malchance vous colle aux basques de cette manière, il ne reste plus qu'une échappatoire : partir au loin.
C'est de l'autre côté du monde qu'il va choisir de prendre un nouveau départ : en Nouvelle-Zélande.

Malgré sa peine de savoir son fils si loin d'elle, Jabel se sent moins seule quand elle reçoit une lettre d'Ifig. Elle court alors chez sa voisine Marie-Louise qui lui lit le courrier, et ces quelques mots qui ont traversé le monde lui donnent l'impression qu'Ifig est encore près d'elle. Elle apprend ainsi qu'il s'est marié, que ses affaires marchent bien, qu'il s'est construit une maison tout en bois :
« E koad ! Peseu' soñj ! Un'ti savet gant maen, zo glokoc'h kement-se ! Hañ ! En bois ! Quelle idée ! Une maison en pierre, c'est tout de même plus solide ! Hañ ! Commente Jabel en y repensant. »
Puis elle apprend qu'il lui est né un petit-fils, doté d'un prénom breton, Ronan. Jabel est désormais une mamm-gozh, une grand'mère.

Sur ces entrefaites, Fañch a la bonne idée (ce sera la meilleure de toute sa vie) de mourir et voilà Jabel enfin libre de vivre à son aise.
Après avoir travaillé comme un cheval de labour pendant toutes ces années, Jabel décide prendre sa retraite. Mais ce n'est pas là sa plus grande décision. Car en fait, et à la grande stupéfaction de tout son entourage, Jabel a mûri un grand projet : rendre visite à Ifig en Nouvelle-Zélande.

Mais comment faire pour voyager si loin quand on ne sait ni lire ni écrire ni même parler le français. Au sortir du train de Quimper, arrivée à Paris, elle sera déjà en terre inconnue, dans une région où il est impossible de se faire comprendre. Comment alors se débrouiller pour se rendre à l'aéroport, prendre l'avion, ne pas se perdre lors des escales ? Tout ceci sans compter les nombreuses formalités à accomplir , vaccins, passeports, visa, etc...
Pourtant, tous ces obstacles n'arrêteront pas jabel dans sa décision de se rendre aux antipodes pour découvrir le visage de son petit-fils, et c'est le début d'une incroyable odyssée qui va commencer.
Munie de sa valise et d'un carton renfermant quelques crêpes et un gwastell-vras (un grand gâteau), préparés par ses soins, Jabel va devoir affronter de nombreuses épreuves afin d'arriver au bout de son voyage. Ce ne sera pas toujours facile mais c'est sans compter sur le sens de la répartie, les colères homériques et la sagacité de cette Mamm-gozh qui ira jusqu'à faire déguster ses crêpes aux habitants d'un village Maori.

Dès les premières pages du « Voyage de Jabel » on pourrait se croire dans un de ces innombrables « romans du terroir » chers à nombre d'auteurs de nos régions, puis on se trouve sans crier gare catapulté dans une sorte de Road-movie sur les pas de cette vieille dame bretonne qui va traverser la planète jusqu'aux antipodes en faisant fi de tous les obstacles semés sur son chemin.

C'est avec une grande tendresse qu'Angèle Jacq a bâti le personnage de Jabel, un personnage naïf certes, mais qui n'a aucun point commun avec la célèbre Bécassine, autre bretonne voyageuse dont la célébrité n'est plus à démontrer. On rit, on s'attendrit, on est ému par toutes ces figures rencontrées au cours de la lecture de ce roman. On s'étonne du pragmatisme de cette vieille dame soudain confrontée à un monde dont elle ignore tout et qui va cependant réussir à chaque fois à tirer son épingle du jeu tout en restant fidèle à elle-même.

Incroyable odyssée qui nous plonge dans le monde des années 60-70, « Le voyage de Jabel » nous dresse le portrait haut en couleurs d'une mamm-gozh qui, même si elle ne parle que le breton, n'a pas sa langue dans sa poche. On ne se lasse pas de suivre une à une toutes les étapes de la préparation et de la réalisation de son voyage et c'est bien à regret que l'on se voit contraint de la quitter quand s'achève le roman.
Si vous ne connaissez pas encore Jabel, Mallozh Doue ! précipitez-vous chez votre libraire !

L'avis d'Yvon.




Commentaires

Sibylline a dit…
J'apprécie beaucoup la façon dont tu continues ta route en ce moment, droit dans tes bottes, réaction ou pas réaction, commentaires ou pas commentaires. Très classe. ;-)
Et à mon avis, c'est bien comme cela qu'il faut faire. Je passe voir ton blog tous les jours;-)
BOUALI Pascal a dit…
Sibylline : Le fait de ne pas avoir de commentaires sur le blog ne me dérange pas plus que ça.
Moi-même, quand je visite d'autres blogs, je laisse rarement mes impressions, car si c'est pour écrire "J'ai lu ce livre et il m'a plu" ou "Ce roman me fait envie",ça devient à la longue un peu répétitif.
De plus, mes commentaires de lectures se font de plus en plus espacés ces temps-ci. La cause en est de ma participation à trois prix littéraires ( Prix du Livre de Poche, Prix du Télégramme et Prix Landerneau).Je suis donc un peu débordé par le nombre de livres à chroniquer et j'ai de ce fait accumulé un certain retard. Mais l'essentiel, avant de faire la critique d'un ou plusieurs ouvrages, n'est-il pas justement de lire ceux-ci ? C'est ce à quoi je m'applique en ce moment.
Ma priorité allant avant tout vers la lecture, c'est à celle-ci que je consacre la plus grande partie de mon temps. Les commentaires, quant à eux, attendront.
Sibylline a dit…
Bon choix à mon avis
Régale-toi;-)
Anonyme a dit…
très alléchée par ton billet, j'ai acheté le roman. Bon j'avoue : je n'ai pas accroché, pas du tout. Pas de style, les phrases en breton ont l'air d'en tenir lieu et ça m'a très vite agacée. Je le prête-donne à qui veut !

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