"L'homme en Noir fuyait à travers le désert...et le Pistolero le suivait..."
"La Tour Sombre" Stephen King. Roman. Editions J'ai Lu, 1991-2005
Traduit de l'américain par Marie de Prémonville.
Je ne vais pas vous mentir en vous donnant à croire que j'ai lu les 4000 pages de « La Tour Sombre » en quelques jours.
Non, cet immense cycle romanesque signé Stephen King, je l'ai lu en pointillés, en alternance avec d' autres lectures, sur une période d'un an et demi et c'est avec une certaine satisfaction (mais aussi avec soulagement) que je viens d'en clore le 7ème et dernier tome.
S'il existe et s'il restera une oeuvre emblématique illustrant la carrière de romancier de Stephen King, il se pourrait bien que celle-ci soit justement « La Tour Sombre », vaste épopée qui renferme en elle-même toutes les caractéristiques et toutes les influences de cet auteur.
De plus, ce cycle romanesque peut s'apparenter à l'oeuvre de toute une vie étant donné qu'il a fallu à Stephen King environ trente ans pour la mener à son terme.
De plus, ce cycle romanesque peut s'apparenter à l'oeuvre de toute une vie étant donné qu'il a fallu à Stephen King environ trente ans pour la mener à son terme.
C'est en effet à l'âge de vingt-deux ans, dans les années 70, que l'auteur commence à rédiger ce qui deviendra le premier tome de la série paru en 1982 : « Le Pistolero » et c'est en 2005 que sera édité le dernier opus. C'est en fait dès l'âge de dix-neuf ans que, après avoir lu « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien, qu'il décide lui aussi d'entreprendre la rédaction d'une oeuvre monumentale et épique en rapport avec son propre imaginaire ainsi qu'à ses influences littéraires et cinématographiques.
Le point de départ de son récit est un poème de Robert Browning (1812-1889) : « Le chevalier Roland s'en vint à la tour noire » mais on trouvera au cours du roman de multiples influences dont, bien évidemment « Le Seigneur des Anneaux » mais aussi « Le magicien d'Oz » de L. Frank Baum, « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll, les romans du Cycle Arthurien ainsi que « Les sept samouraïs » de Kurosawa et les westerns-spaghetti de Sergio Leone. Tout ceci sans oublier les multiples références que fait Stephen King à sa propre production romanesque dont, entre autres, « Salem » et «Le fléau ».
C'est donc un énorme melting-pot que nous livre Stephen King avec « La Tour Sombre », une sorte de chaudron de sorcière dans lequel il finira par se mettre lui-même en scène, revenant sur un épisode dramatique de sa vie, survenu en 1999 et au cours duquel il faillit être tué au bord d'une route du Maine, renversé par un chauffard.
Mais de quoi nous parle donc Stephen King dans « La Tour Sombre » ?
Avant tout, il nous emmène sur les traces d'un pistolero : Roland Deschain de Gilead, personnage moitié cow-boy, moitié chevalier médiéval qui se met en quête de la mystérieuse tour sombre, bâtiment servant de pivot et de moyeu central de multiples univers parallèles (dont le nôtre), univers voués à l'extinction si la tour entre les mains du Roi cramoisi, magicien aux multiples identités qui ne cessera de s'opposer au dessein du héros.
Pour accomplir sa quête, Roland va s'adjoindre trois comparses qu'il va venir chercher dans notre univers, et plus particulièrement dans le New-York des années 60 , 70 et 80.
Pour accomplir sa quête, Roland va s'adjoindre trois comparses qu'il va venir chercher dans notre univers, et plus particulièrement dans le New-York des années 60 , 70 et 80.
Ce sera en tout premier lieu Jake Chambers, un jeune écolier de 11 ans qui va mourir renversé par une voiture (il a été poussé par un individu malfaisant du nom de Jack Mort) et se retrouver ainsi propulsé dans le monde de Roland.
C'est ensuite Eddie Dean, un jeune héroïnomane, convoyeur de drogue au service d'un baron de la pègre, qui sera sauvé de justesse par Roland et deviendra, bon gré mal gré, l'un de ses plus fidèles compagnons.
Et c'est enfin Odetta Holmes/Detta walker, une jeune femme noire des années 60, fille d'un richissime dentiste et fervente militante des droits civiques de la population noire américaine. Lors de son enfance, Odetta a été frappée en pleine tête par une brique tombée d'un immeuble (brique lancée par un certain Jack Mort, encore lui!) et depuis la personnalité d'Odetta s'est scindée en deux. Par moments elle devient Detta Walker, un furie qui ne s'exprime que par la haine. Odetta est handicapée et se déplace en fauteuil roulant depuis qu'elle a eu les jambes coupées après avoir été poussée (par devinez-qui ?) sous les rails du métro de New-York.
Voici donc nos trois personnages propulsés dans les Terres Perdues, le monde de Roland, un monde post-apocalyptique qui tient du western, du moyen-âge et de Mad Max. Ils vont ainsi devenir les compagnons du pistolero et l'aideront à poursuivre sa quête, affrontant de terribles dangers et rencontrant de multiples personnages et créatures plus inquiétants les uns que les autres au cours d'un périple qui les menera, peut-être, jusqu'au pied de la tour sombre.
Le roman commence par cette phrase : « L'homme en Noir fuyait à travers le désert...et le Pistolero le suivait... ». Impossible, après avoir lu ces quelques mots, de s'en tenir là et le lecteur est immédiatement happé par le récit, prêt à ingurgiter les 7 tomes du cycle et à suivre les pas du chevalier Roland sur près de 4000 pages pleines de rebondissements et d'aventures palpitantes.
Pourtant, j'avouerai pour ma part que si j'ai été emballé par les premiers tomes de la série (surtout par « Magie et Cristal », j'ai commencé à ressentir un certain essoufflement à partir des « Loups de la Calla » et j'ai été légerement déçu par un final assez conventionnel.
Mais il faut bien reconnaître que ce récit, qui doit beaucoup à l'improvisation de l'auteur, a le mérite de tenir debout malgré les multiples directions dans lesquelles il nous entraîne.
« La Tour Sombre » ne sera donc pas pour moi le chef-d-oeuvre du King, la somme de pages du roman n'ayant que peu à voir avec la qualité narrative mais il n'empêche que ce récit mérite quelques semaines de lecture pour en apprécier la prouesse romanesque, ainsi que la construction anarchique (mais cependant d'une redoutable efficacité) qui font de l'ensemble une oeuvre palpitante et atypique.
"Le chevalier Roland s'en vint à la tour noire"
de Robert Browning
I
Je pensais, il a menti en chaque mot,
L'hideux infirme, de son œil qu'il disait voilé par le songe
De biais contemplait l'effet de ses mensonges
Sur moi, et sa bouche, incapable de masquer les cahots
De sa liesse, qui secouait et tordait son corps bot
Devant l'agonie de la victime que la mort ronge.
II
Quel autre dessein eût pu animer ce menteur diabolique?
De son bâton dressé tel un attrape-foudre furieux
Il leurre, menace, et séduit le curieux
Qui demande son chemin.
Et ce rire satanique
Graverait je n'en doute l'épitaphe véridique
Relatant ma venue en ces maudits lieux.
III
Si fort de ses conseils je devais me détourner
De ma route pour m'engager dans le sinistre chemin,où,
Comme chacun le sait,se cache la Tour Noire,
c'est pourtant sans remous,
Et docile,que je m'y aventurai.
Sans nulle fierté
Ni impatience ravivée de jamais entrevoir mon but tant convoité
Ni même aucune fin - je n'avais pas cet espoir fou.
IV
Car après avoir sillonné le vaste monde, en entier
Et cherché en vain toutes ces longues années, qu'étail-il advenu
De ma quête, de ma foi déclinantes, ces fantômes abattus,
N'eussent pu porter le poids de cet espoir trop vif, plein de témérité
Et c'est à peine si je sus réprimer le bond enchanté
Que fit mon cœur, sentant la défaite venue.
V
Et lorsque le malade approchant du trépas
Sent commencer et finir
Les larmes de peine, et qu'adieu aux amis il doit dire
Il entend l'un supplier l'autre de partir, retenir son souffle las,
Plus librement dehors (« puisque tout est achevé, que la fin est là
Et que le coup porté, aucun chagrin ne viendra adoucir »)
VI
Quand d'aucuns débattent, cherchant si place ils trouveront
Entre les tombes moussues, pour celle de ce vaillant
Et si pour porter sa dépouille il est jour plus clément
Et si, ayant soin des bannières, des écharpes et des tristes chansons
L'homme toujours entend tout et une seule soif berce son cœur si bon
Celle de ne pas faillir et trahir un amour si tendre, en demeurant.
VII
Ainsi,depuis si longtemps, j'endurais cette quête insensée
Et voyais mon échec chanté dans poèmes et prophéties
Tant de fois, parmi la troupe, de ceux qui ont choisi cet exil inouï,
Ces chevaliers qui à la Tour adressèrent leurs pas
et leurs rêves éthérés
Qu'échouer comme eux me paraissait galvaudé
Mais certain - car qui pourrait lutter contre ce doute assassin:
et si j'étais honni?
VIII
Et muet comme le désespoir qui m'étreignait, je me détournai
De cet odieux estropié, je quittai son chemin
Pour porter mes pas dans celui qu'il vantait.
Car ce jour sans fin
M'avait été bien lugubre, et avant que de voir le soir tomber
Et le clore, je souffris le regard écarlate et mauvais
Qui ensanglante la plaine, d'un éclat macabre et malin.
IX
Qu'on m'entende!
À peine m'étais-je promis le cœur loyal
À la plaine,au bout d'un pas ou deux
Alors que je me retournai pour lancer un regard d'adieu
Sur la route bien sûre qui m'avait mené en ce songe sans égal
Elle avait disparu; plus rien d'autre que les plaines grises et étales
À perte de vue: je ne pus que poursuivre, car quoi faire en ces lieux?
X
Aussi je marchai. Je ne crois pas avoir jamais entrevu de mes yeux
Nature plus affamée et ignoble, rien n' y prospérait guère
Pas une fleur - comment rêver d'une cédrière!
Tandis que l'euphorbe et la chienlit,comme la loi le veut
Se propageaient à l'envi, si bien qu'au cœur ainsi un peu
De bardane égarée eût été une heureuse surprise, et bien légère
XI
Point! Pénurie, langueur et grimace,
Bien étrange était le lot de cette affreuse terre.« Vois ou ferme les yeux »,disait
Mère Nature,
de son air
Maussade:
« Rien ne veut fleurir, je ne puis même sauver la face:
C'est le Jugement Dernier qui de ses flammes
lavera cette place
Qui en calcinera les mottes et de mes prisonniers
rompra les fers. »
XII
Et si un chardon tout éplumé poussait là par hasard,
Se dressant au-dessus du lot, c'était décapité,
car l'agrostide était jalouse ici.
Qui avait creusé ces trous et ces crevasses dans les orties
Et les feuilles bistrées et rêches de la patience, qui avait tout réduit
en friche chaotique, tuant tout espoir
De verdure? Une brute, à n'en point douter, à l'âme noire
Soufflant toute vie comme une chandelle,
telle une bête sans merci.
XIII
Quant à l'herbe, elle poussait il est vrai aussi maigre
que son pelage
Frappé de lèpre; des brins épars perçaient la boue
Qui paraissait pétrie de sang par-dessous
Une rosse aveugle, dont chaque os saillait comme
après le carnage
Se tenait en stupeur, frappée par un mirage,
Chassée du haras du Diable même à grand renfort de coups!
XIV
Vivant? L'animal à mes yeux pouvait avoir
péri sans un pleur
Décharné, la carcasse saignant, et d'un spectre ayant l'air
Il gardait les yeux clos sous une immonde crinière
Alliance incongrue du ridicule et de pareille douleur
Jamais je ne vis brute aussi digne d'être frappée de malheur
Il fallait bien qu'il fût maléfique pour mériter tel salaire.
XV
Je fermai les yeux et les ouvris sur mon cœur
Comme un homme commandant le vin avant d'aller guerroyer
J'appelai de mes vœux une rasade de visions
plus heureuses du passé
Afin de retrouver l'espoir de jouer mon rôle en vainqueur.
Penser d'abord, et puis combattre tout l'art du soldat, sa valeur,
Car le goût furtif des temps anciens guérit de tout, vrai!
XVI
Pas cela! Je ne pus détacher mon regard incertain
De la face rougie de Cuthbert, sous les boucles d'or
Cher compagnon, qui jadis fâché dans un ultime effort,
Glissa, je le sentis,son beau bras sous le mien
Car ainsi il était, tout sourire, même quand périt le Bien
Et avec lui mon cœur à peine éveillé, dans le souffle du cor.
XVII
Et donc, l'âme de l'honneur-le voici debout là, si beau
Aussi franc que dix ans plus tôt, alors jeune chevalier,
Qu'un homme loyal vînt le défier (dit-il) il saurait l'affronter
Dans les bonnes règles -mais voilà que glisse la scène- pouah!
Quel bourreau
A cloué sur son sein un vil parchemin? Et ses propres compagnons de fourreau
De le lire. Pauvre traître, jouet des crachats et des quolibets!
XVIII
Plutôt ce présent qu'un passé qui s'offre tel:
Me voilà de retour sur ma route assombrie!
Aucun son, nulle vision aussi loin que l'œil s'enquît,
Un hibou ou une chauve-souris, la nuit m'enverra-t-elle?
Implorais-je; quand soudain sur la terre plane
et lugubre une image nouvelle
Arrêta mes pensées et le cours j'en perdis.
XIX
En travers de ma route, soudain, une rivière,
Tel le serpent surgit par surprise
Mais point de marée paresseuse et douce, dans les ténèbres grises.
Celle-là écumait et eût pu satisfaire
Le démon venu y baigner son sabot rougeoyant-à voir l'ardente
colère,
Des ses remours noirs éclaboussés d'écaillures et de mousse, où l'on s'enlise.
XX
Si insignifiante, et pourtant si venimeuse, sur ses berges austères
De bas aulnes rabougris venaient s'agenouiller
près de l'eau agitée
Et saules détrempés les jetant tête baissée
En un mouvement de muet désespoir, foule suicidaire:
Et le courant qui les torturait ainsi,
nullement ému par leur calvaire
Suivait sa route, pas un instant perturbé.
XXI
Et tandis que je passais à gué-par tous les saints,
comme je craignais
De poser pied sur la joue de quelque cadavre ou moribond
À chaque pas, ou de sentir la lance de laquelle je sondais les fonds
Prévenant les écueils, prisonnier de sa chevelure
ou de sa barbe serrée
Un rat d'eau sans doute, que de mon bâton je réveillai
Mais Dieu! Combien son cri rappelait le hurlement
d'un nourrisson.
XXII
Et je fus trop heureux de gagner la berge opposée
Le pays paraissait plus clément.Vain présage!
Qui étaient les combattants, quelle guerre menaient-ils,
quel en était le visage
Quel piétinement sauvage était venu écraser le sol détrempé
En un frais clapotis? Crapauds en leur cuve empoisonnée
Ou chats sauvages dans leur rougeoyante cage-
XXIII
Ainsi paraissaient les traces d'un antique combat
en ce décor sauvage
Qui les confinait là, quand toute la plaine s'offrait à eux?
Nulle trace de pas ne menait à ce miaulement vénéneux
Aucune ne s'en éloignait. Immonde saumure à l'ouvrage
Leur cerveau, nul doute, comme le Turc son galérien,
qu'il a fait esclave
Appelle son divertissement, Chrétiens contre Juifs,
en un combat odieux.
XXIV
Et plus que cela-à un furlong-si près,juste là, vraiment!
À quel funeste usage ce moteur, cette roue étaient-ils réservés?
Ou plutôt ce frein-cette herse faite pour tourner,
Pour rouler et filer les cadavres comme la soie,
avec l'air insouciant
De l'outil du Tophet, laissé sur terre comme par égarement
Ou pour affûter ces dents rouillées d'acier.
XXV
Puis apparut une lande piétinée, jadis un bois étrange,
Puis marécage semblait-il, et enfin simple terre désolée
Et stérile (l'idiot y trouvera une raison de se gausser
À créer une chose, puis à la gâter,
jusqu'à ce que d'humeur il change
Et le voilà reparti!); en un quart d'arpent, sombre mélange
De marais, d'argile et de décombres,
et de désolation amère et dépeuplée.
XXVI
D'imprudentes taches, d'un gris sinistre colorées
Des aplats où le sol ras, maigre pitance
Laissait place à la mousse, pareille à des furoncles,
abjectes substances
Puis surgit un chêne paralysé,en son sein
une profonde fissure creusée
Telle une bouche distordue, fendue, déchirée
Suffoquant, aspirant la mort, et mourant dans une ultime transe.
XXVII
Et toujours aussi loin de la fin!
Rien d'autre à l'horizon que le crépuscule,
rien qui vienne l'œil rassurer
Ou le pas guider! À cette pensée,
Je vis un grand corbeau, ami de cœur d'Apollyon,
l'ange de l'abîme sans fin
Passer au-dessus de moi, son aile vaste de dragon
dans son vol hautain
M'effleura le chef-peut-être cherchais-je à me faire inviter.
XXVIII
Car levant les yeux, malgré moi, je pus voir, je le pus!
En dépit des ténèbres, que la plaine avait cédé la place
Alentour aux montagnes - les appeler ainsi est trop de grâce
Ces hauteurs bien laides, vagues bosses vite dérobées à ma vue.
Pourtant combien elle m'avait surpris-
allez résoudre ce mystère ardu!
Comment m'en échapper, pas d'indice, comment faire face?
XXIX
Pourtant je crus reconnaître quelque ruse à demi
Quelque malice déjà survenue, Dieu seul savait quand
-En cauchemar peut-être. Cette malice prit fin,
et tout en la voyant
S'éloigner, je poursuivis ma route, mais bien près
de céder au renoncement et à l'oubli
Je fus une fois encore éveillé de cet insidieux ennui
Comme lorsque au bruit d'une trappe qui claque-vous vous
savez piégé, non plus dehors, mais dedans.
XXX
Tout m'assaillit à la fois en un embrasement mémorable
C'était bien là ce lieu! Ces deux collines sur la droite couchées,
Accroupies tels deux taureaux, cornes soudées
en leur joute acharnée
Tandis qu'à gauche une haute montagne rasée...
je me trouvai pitoyable
Cancre,abasourdi, pétrifié par l'instant inestimable
Après toute une vie passée à esquisser cette vision, dans mon œil
entraîné!
XXXI
Et au centre, quoi d'autre que la Tour unique?
Tourelle ronde et trapue, aussi aveugle que le coeur de l'idiot
ahuri,
Bâton de pierre brune, et sans jumelle dressée à côté, seule surgie,
Seule au monde de son espèce. Ainsi l'elfe moqueur
de la tempête fatidique
Désigne au capitaine l'obstacle invisible, l'écueil dramatique
Sur lequel il viendra déchirer son navire,
au premier soubresaut ressenti.
XXXII
Nulle vision telle? À cause de la nuit, peut-être?
-pourtant le jour reparut
J'attendis la lumière! Avant que de la voir pâlir, fugace
Le crépuscule mourant vint rougeoyer à travers une crevasse:
Les collines, tels des géants assistant à la chasse, bien repus
Le menton dans la paume, observaient le gibier aux abois, perdu
« Que d'un coup de dague on achève la bête!Droit au cœur,
qu'on la terrasse! »
XXXIII
Aucun son? Quand le bruit était partout! Et j'entendis
Le carillon croître à mon oreille. Ces noms à mon oreille tendue
Ceux d'aventuriers perdus,
Mes pairs-celui-ci était si fort, celui-là si hardi,
Et l'autre si chanceux, et tous, vieux amis enfuis
Perdus, perdus! Un instant sonna le glas du malheur des ans déchus.
XXXIV
Tous, debout là, alignés le long des collines réunis,
Pour me voir avant le grand départ, cadre vivant et plein d'espoir
D'un ultime tableau! Sur une feuille en flammes dans le soir
Je les vis, tous je les reconnus. Et c'est alors qu'en un geste infini
Intrépide je portai à mes lèvres mon cor béni
Et sonnai. « Le Chevalier Roland s'en vint à la Tour Noire »
Robert Browning
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