L' anti-Bridget Jones
"Madeleine" Amanda Sthers. Roman. Editions Stock, 2007.
« Il l’a vouvoyée. Il n’a parlé de rien. Ni de maisons, ni de ce lit, ni de cette fois. Est-ce un rendez-vous ? Une deuxième visite ? Il a donné l’heure d’arrivée de son avion. Le même, même jour. Déjà deux mois plus tard. Le souvenir est bien là, brûlant sur les cuisses de Madeleine. Est-ce qu’il faut aller chez le coiffeur ? Du noir, ça mincit mais la peur aussi, le lointain. Du marine ? Du marron ? Du temps, pas beaucoup ? Que dit-elle ? Elle dit oui, je vous attendrai. Le silence est long. « Vous me reconnaîtrez ? » essaie-t-elle. Il ne répond même pas. Elle ne sait pas comment on attrape un homme, ils lui glissent entre les doigts comme du vif-argent, et celui-là est bien plus qu’un homme. Il est celui qu’elle aime, celui qu’elle attendait. »
Je l’avoue, quand j’ai lu sur la quatrième de couverture de cet ouvrage le texte ci-dessus, j’ai eu un peu peur. Était-ce à cause de cette succession de phrases courtes, hachées, procédé narratif très usité de nos jours chez certains auteurs branchés et médiatiques dont le talent se mesure à l’aune du chiffre d’affaires réalisé par leurs romans ?
Était-ce à cause du contexte pressenti à la lecture de ces quelques lignes, contexte qui semble annoncer une de ces consternantes bluettes à la mode, écrites en général à la calculette par les mêmes auteurs que ceux cités plus haut, bluettes agrémentées d’une dose de sexe raccoleur, un tantinet pervers, un tantinet voyeur, afin de faire accroire au lecteur naïf qu’il n’est pas en train de lire un roman de gare ( ce qui est pourtant le cas) mais de la véritable littérature.
Bref, c’est avec quelques appréhensions que j’ai entamé il y de cela quelques mois ce roman qui m’avait été envoyé dans le cadre du Prix des lecteurs du Livre de Poche 2009. Je m’attendais au pire et ce fut, au final, une agréable surprise et un bon moment de lecture que celui passé à lire ce roman d’Amanda Sthers.
Madeleine approche de la quarantaine. Célibataire, elle vit seule à Brest, dans une maison « longue comme une cigarette ». Madeleine n’est pas de ces femmes sur le passage desquelles les hommes se retournent. Elle n’est pas moche, non, mais pas belle non plus et a quelques kilos de trop. Madeleine a en fait un physique ordinaire, nullement compensé par un esprit brillant qui pourrait lui donner un certain charme.
Elle exerce son activité professionnelle dans une agence immobilière : Kerguikou View , et quand elle rentre chez elle après une journée de travail, elle rêvasse devant la télé en s’imaginant partager sa vie avec Brandon Bradley le héros de Destins Croisés, une sitcom américaine.
Le dimanche, elle rend visite à son grand-oncle, Pépé Jacques, qui est pensionnaire dans une maison de retraite où il s’est auto-proclamé « responsable spectacle ». Pépé Jacques s’y connaît en musique, c’est d’ailleurs grâce à lui qu’est né dans les années 1970 un tube de renommée mondiale :
« Pépé Jacques a une maison à Brest. Une belle maison. Il ne veut pas la vendre. Elle a appartenu à un chanteur breton à la mode qui jouait du biniou électro. Il a joué avec Peter Gabriel, Genesis… les plus grands. Avec un pic notable de popularité dans les années soixante-dix. C’est dans les toilettes de la maison de Brest qu’un des Bee Gees aurait composé un tube. C’est-ce que maintient Pépé Jacques, et ce qui lui a été dit lorsqu’il a acheté cette maison en 1978. Un tube a été écrit dans ses toilettes ! Pépé Jacques pense qu’il s’agit de Staying Alive mais il n’est pas sûr de ça. Ce qu’il sait, c’est qu’après ce tube, les Bee Gees ont eu une période creuse, sans le moindre succès. D’après Pépé Jacques, le frère Bee Gees compositeur aurait sonné un jour chez lui pour utiliser ses toilettes, persuadé que l’inspiration pourrait revenir. Il les lui a prêtées. Tube à nouveau. Mais, à la fois suivante, quand le Bee Gees est revenu confiant et lui a demandé avec sa voix de souris miniature : « Could I use your bathroom, please ? », il ne l’a pas laissé se servir de ses toilettes ni du reste de sa maison. « No, no, go to your maison. » Il ne fallait pas exagérer, le type avait fait un succès mondial grâce à ses chiottes et il ne lui avait pas donné un centime, pas envoyé un chocolat, rien. Alors Pépé Jacques a dit non et un écriteau devant la maison précise désormais : « Pas d’Américains dans mes toilettes. »
Voilà donc à quoi se résume l’emploi du temps de Madeleine : la semaine, elle fait visiter des appartements et des maisons à d’éventuels acheteurs avant de rentrer chez elle pour fantasmer sur Brandon Bradley, et ses dimanche, elle les passe en compagnie de Pépé Jacques qui fait répéter aux pensionnaires des « Oeillets » la comédie musical Cats, l’abreuve de ses anecdotes sur le show-biz et lui fait part de son projet d’ouvrir un studio d’enregistrement dans les toilettes de sa maison.
M. Kerguikou, le patron de Madeleine, s’est pris d’affection pour son employée et se désespère de la voir toujours célibataire à l’approche de ses quarante ans. Il va donc lui présenter son cousin Rémi, célibataire lui aussi :
« Rémi Kerguikou porte des pantalons en velours côtelé trop courts. Il a la raie sur le côté. Des lunettes d’écaille. Du temps devant lui puisque peu d’amis. […] Rémi a beaucoup d’humour. Il apprécie tout particulièrement les spectacles de Laurent Gerra dont il suit les apparitions télévisées. Rémi Kerguikou a des opinions politiques. Il aime la France. Il aime les vrais français. Ceux qui sont blancs, ceux qui font une nourriture sans odeurs, ceux qui sont catholiques. Rémi Kerguikou attend d’avoir une femme pour se mettre au golf. Il collectionne les photos des parcours verts à travers le monde. Rémi a très peu fait usage de son sexe, c’est, pourrait-on dire, « une première main ». À part quelques révisions auprès d’une prostituée (toujours la même). Rémi est en bonne santé. Il ne boit pas beaucoup. Ni d’alcool, ni d’eau. Pourtant sa sudation frontale est visible et abondante. Rémi aime les longues balades à pied, les labradors et les dentifrices aux plantes. Rémi Kerguikou a dit bonjour à Madeleine, il a regardé son cousin l’air de dire : « Ça va, on la prend » comme s’il venait d’essayer une voiture. »
On le voit, Rémi Kerguikou a bien peu de points communs avec Brandon Bradley. Madeleine se résignera-t-elle à céder aux avances de ce goujat pour accéder à la normalité et ne plus être désignée comme la pauvre célibataire vieillissante qui passe ses soirées seule et dort dans un lit trop grand ?
Un évènement va survenir en la personne de Castellot, un parisien venu acquérir une maison dans le Finistère. Pour Madeleine, cet homme représente tout ce à quoi elle n’a jamais eu droit, l’aisance matérielle et culturelle des bobos de la capitale, un univers bien éloigné de son microcosme brestois et des goûts vulgaires de Rémi Kerguikou.
Entre ces deux personnages issus de milieux si différents va naître une relation, pas seulement charnelle, une relation qui fera espérer à Madeleine un tout autre avenir que celui auquel elle se croit destinée.
Bien sûr, tout cela pourrait faire penser à une version finistérienne du « Journal de Bridget Jones », les thèmes abordés, le célibat, l’amour, le mariage y sont après tout les mêmes, mais Antoine Castellot n’est pas Daniel Cleaver ni Mark Darcy et le récit ne tombe pas un seul instant dans la mièvrerie ou la naïveté de la chick-lit, genre littéraire auquel ce roman n’appartient pas.
Madeleine, c’est plutôt l’anti-Bridget Jones. Bien que célibataire comme elle, elle n’évolue pas dans un milieu social de haute volée comme sa consoeur d’outre-Atlantique (Bridget Jones travaille dans le milieu de l’édition), l’ambiance générale y est beaucoup moins glamour et romantique et le Happy End de « Madeleine » n’a rien de commun avec celui de l’héroïne d’Helen Fielding. Le ton est ici plutôt doux-amer et les personnages évoluent dans un contexte rien moins que réel. Les personnages y sont tous très ordinaires et le quotidien n’est pas une seconde magnifié dans le but de verser dans la comédie romantique. Et même si l’atmosphère peut paraître parfois assez glauque, le récit n’est pas dénué d’un humour caustique qui apparaît surtout dans la description des protagonistes, description dont on a vu des exemples plus haut.
Au final, ce roman fut pour moi une agréable découverte, d’autant plus agréable que rien au départ ne me laissait présager que j’allais découvrir ici un ouvrage traitant avec originalité, humour et spontanéité de thèmes si souvent rebattus.
« Il l’a vouvoyée. Il n’a parlé de rien. Ni de maisons, ni de ce lit, ni de cette fois. Est-ce un rendez-vous ? Une deuxième visite ? Il a donné l’heure d’arrivée de son avion. Le même, même jour. Déjà deux mois plus tard. Le souvenir est bien là, brûlant sur les cuisses de Madeleine. Est-ce qu’il faut aller chez le coiffeur ? Du noir, ça mincit mais la peur aussi, le lointain. Du marine ? Du marron ? Du temps, pas beaucoup ? Que dit-elle ? Elle dit oui, je vous attendrai. Le silence est long. « Vous me reconnaîtrez ? » essaie-t-elle. Il ne répond même pas. Elle ne sait pas comment on attrape un homme, ils lui glissent entre les doigts comme du vif-argent, et celui-là est bien plus qu’un homme. Il est celui qu’elle aime, celui qu’elle attendait. »
Je l’avoue, quand j’ai lu sur la quatrième de couverture de cet ouvrage le texte ci-dessus, j’ai eu un peu peur. Était-ce à cause de cette succession de phrases courtes, hachées, procédé narratif très usité de nos jours chez certains auteurs branchés et médiatiques dont le talent se mesure à l’aune du chiffre d’affaires réalisé par leurs romans ?
Était-ce à cause du contexte pressenti à la lecture de ces quelques lignes, contexte qui semble annoncer une de ces consternantes bluettes à la mode, écrites en général à la calculette par les mêmes auteurs que ceux cités plus haut, bluettes agrémentées d’une dose de sexe raccoleur, un tantinet pervers, un tantinet voyeur, afin de faire accroire au lecteur naïf qu’il n’est pas en train de lire un roman de gare ( ce qui est pourtant le cas) mais de la véritable littérature.
Bref, c’est avec quelques appréhensions que j’ai entamé il y de cela quelques mois ce roman qui m’avait été envoyé dans le cadre du Prix des lecteurs du Livre de Poche 2009. Je m’attendais au pire et ce fut, au final, une agréable surprise et un bon moment de lecture que celui passé à lire ce roman d’Amanda Sthers.
Madeleine approche de la quarantaine. Célibataire, elle vit seule à Brest, dans une maison « longue comme une cigarette ». Madeleine n’est pas de ces femmes sur le passage desquelles les hommes se retournent. Elle n’est pas moche, non, mais pas belle non plus et a quelques kilos de trop. Madeleine a en fait un physique ordinaire, nullement compensé par un esprit brillant qui pourrait lui donner un certain charme.
Elle exerce son activité professionnelle dans une agence immobilière : Kerguikou View , et quand elle rentre chez elle après une journée de travail, elle rêvasse devant la télé en s’imaginant partager sa vie avec Brandon Bradley le héros de Destins Croisés, une sitcom américaine.
Le dimanche, elle rend visite à son grand-oncle, Pépé Jacques, qui est pensionnaire dans une maison de retraite où il s’est auto-proclamé « responsable spectacle ». Pépé Jacques s’y connaît en musique, c’est d’ailleurs grâce à lui qu’est né dans les années 1970 un tube de renommée mondiale :
« Pépé Jacques a une maison à Brest. Une belle maison. Il ne veut pas la vendre. Elle a appartenu à un chanteur breton à la mode qui jouait du biniou électro. Il a joué avec Peter Gabriel, Genesis… les plus grands. Avec un pic notable de popularité dans les années soixante-dix. C’est dans les toilettes de la maison de Brest qu’un des Bee Gees aurait composé un tube. C’est-ce que maintient Pépé Jacques, et ce qui lui a été dit lorsqu’il a acheté cette maison en 1978. Un tube a été écrit dans ses toilettes ! Pépé Jacques pense qu’il s’agit de Staying Alive mais il n’est pas sûr de ça. Ce qu’il sait, c’est qu’après ce tube, les Bee Gees ont eu une période creuse, sans le moindre succès. D’après Pépé Jacques, le frère Bee Gees compositeur aurait sonné un jour chez lui pour utiliser ses toilettes, persuadé que l’inspiration pourrait revenir. Il les lui a prêtées. Tube à nouveau. Mais, à la fois suivante, quand le Bee Gees est revenu confiant et lui a demandé avec sa voix de souris miniature : « Could I use your bathroom, please ? », il ne l’a pas laissé se servir de ses toilettes ni du reste de sa maison. « No, no, go to your maison. » Il ne fallait pas exagérer, le type avait fait un succès mondial grâce à ses chiottes et il ne lui avait pas donné un centime, pas envoyé un chocolat, rien. Alors Pépé Jacques a dit non et un écriteau devant la maison précise désormais : « Pas d’Américains dans mes toilettes. »
Voilà donc à quoi se résume l’emploi du temps de Madeleine : la semaine, elle fait visiter des appartements et des maisons à d’éventuels acheteurs avant de rentrer chez elle pour fantasmer sur Brandon Bradley, et ses dimanche, elle les passe en compagnie de Pépé Jacques qui fait répéter aux pensionnaires des « Oeillets » la comédie musical Cats, l’abreuve de ses anecdotes sur le show-biz et lui fait part de son projet d’ouvrir un studio d’enregistrement dans les toilettes de sa maison.
M. Kerguikou, le patron de Madeleine, s’est pris d’affection pour son employée et se désespère de la voir toujours célibataire à l’approche de ses quarante ans. Il va donc lui présenter son cousin Rémi, célibataire lui aussi :
« Rémi Kerguikou porte des pantalons en velours côtelé trop courts. Il a la raie sur le côté. Des lunettes d’écaille. Du temps devant lui puisque peu d’amis. […] Rémi a beaucoup d’humour. Il apprécie tout particulièrement les spectacles de Laurent Gerra dont il suit les apparitions télévisées. Rémi Kerguikou a des opinions politiques. Il aime la France. Il aime les vrais français. Ceux qui sont blancs, ceux qui font une nourriture sans odeurs, ceux qui sont catholiques. Rémi Kerguikou attend d’avoir une femme pour se mettre au golf. Il collectionne les photos des parcours verts à travers le monde. Rémi a très peu fait usage de son sexe, c’est, pourrait-on dire, « une première main ». À part quelques révisions auprès d’une prostituée (toujours la même). Rémi est en bonne santé. Il ne boit pas beaucoup. Ni d’alcool, ni d’eau. Pourtant sa sudation frontale est visible et abondante. Rémi aime les longues balades à pied, les labradors et les dentifrices aux plantes. Rémi Kerguikou a dit bonjour à Madeleine, il a regardé son cousin l’air de dire : « Ça va, on la prend » comme s’il venait d’essayer une voiture. »
On le voit, Rémi Kerguikou a bien peu de points communs avec Brandon Bradley. Madeleine se résignera-t-elle à céder aux avances de ce goujat pour accéder à la normalité et ne plus être désignée comme la pauvre célibataire vieillissante qui passe ses soirées seule et dort dans un lit trop grand ?
Un évènement va survenir en la personne de Castellot, un parisien venu acquérir une maison dans le Finistère. Pour Madeleine, cet homme représente tout ce à quoi elle n’a jamais eu droit, l’aisance matérielle et culturelle des bobos de la capitale, un univers bien éloigné de son microcosme brestois et des goûts vulgaires de Rémi Kerguikou.
Entre ces deux personnages issus de milieux si différents va naître une relation, pas seulement charnelle, une relation qui fera espérer à Madeleine un tout autre avenir que celui auquel elle se croit destinée.
Bien sûr, tout cela pourrait faire penser à une version finistérienne du « Journal de Bridget Jones », les thèmes abordés, le célibat, l’amour, le mariage y sont après tout les mêmes, mais Antoine Castellot n’est pas Daniel Cleaver ni Mark Darcy et le récit ne tombe pas un seul instant dans la mièvrerie ou la naïveté de la chick-lit, genre littéraire auquel ce roman n’appartient pas.
Madeleine, c’est plutôt l’anti-Bridget Jones. Bien que célibataire comme elle, elle n’évolue pas dans un milieu social de haute volée comme sa consoeur d’outre-Atlantique (Bridget Jones travaille dans le milieu de l’édition), l’ambiance générale y est beaucoup moins glamour et romantique et le Happy End de « Madeleine » n’a rien de commun avec celui de l’héroïne d’Helen Fielding. Le ton est ici plutôt doux-amer et les personnages évoluent dans un contexte rien moins que réel. Les personnages y sont tous très ordinaires et le quotidien n’est pas une seconde magnifié dans le but de verser dans la comédie romantique. Et même si l’atmosphère peut paraître parfois assez glauque, le récit n’est pas dénué d’un humour caustique qui apparaît surtout dans la description des protagonistes, description dont on a vu des exemples plus haut.
Au final, ce roman fut pour moi une agréable découverte, d’autant plus agréable que rien au départ ne me laissait présager que j’allais découvrir ici un ouvrage traitant avec originalité, humour et spontanéité de thèmes si souvent rebattus.
Photo : La Tribu d'Anaximandre
Commentaires
Je me suis donnée la peine d'entrée, j'ai posé mes pieds nus sur le sable tiède, me suis adossée au rocher, et j'ai lu !
Alors pour bien le savourer ce "poche" sera dans ma valise bretonne pour les prochaines vacances de février !
Merci pour le choix de la photo des bottes, et du lien.
C'est surtout moi qui dois vous remercier pour cette belle photo.
Je tiens également à vous féliciter pour la qualité de votre blog et la grande beauté de vos photos.